La musique générée par intelligence artificielle (IA) est d'ores et déjà promise à un futur radieux. Depuis le début de l'année 2023, plus de 1,7 milliard de vidéos musicales générées par IA ont été visionnées sur YouTube. 

C'est plus particulièrement les chansons produites par IA, mimant la voix d'artistes connus, qui ont généré un engouement sans précédent. En avril dernier, une chanson intitulée "Heart on my sleeve", interprétée par les artistes Drake et The Weeknd est apparue sur plusieurs réseaux sociaux dont Tik Tok. Quelques jours après son apparition, cette chanson a été retirée de toutes les plateformes à la demande de la maison de disques UMG et pour cause : les artistes Drake et The Weeknd n'avaient jamais enregistré ce titre qui avait été composé par une IA imitant leurs voix [1].

Il y a quelques jours, c'est une fausse reprise du morceau "Saiyan", interprété par la chanteuse Angèle qui est devenue virale sur les réseaux sociaux [2]. La voix de la chanteuse belge a été recréée par une IA pour lui permettre d'interpréter des morceaux connus.

Encore une fois, une application de l'intelligence artificielle soulève des questions complexes liées à la propriété intellectuelle. Nous décryptons ici les implications légales de la musique générée par IA. 

Voix humaine vs droit d'auteur : attention

La principale considération concerne la relation entre les droits d'auteur et la musique qui est générée par IA. 

À ce sujet, il existe un point fondamental à clarifier : si une mélodie, des paroles ou autres éléments originaux d'une chanson peuvent être protégés par le droit d'auteur, la voix humaine seule ne l'est pas.

Légalement, la protection de la voix se situe sur le terrain des droits de la personnalité, au même titre que le droit à l'image et au respect de la vie privée et également sur le terrain de la protection des données personnelle puisque la voix est une donnée personnelle.

Autrement dit, la voix seule d'un artiste connu n'est pas protégée par le droit d'auteur mais par un droit de la personnalité. La reproduction de la voix d'un artiste connu n'est donc pas un acte de contrefaçon mais une atteinte à sa vie privée ou une violation des règles applicables au traitement des données à caractère personnel. 

Distinguer les reprises de chansons célèbres et les créations originales

Dans le contexte spécifique des chansons générées par IA imitant la voix d'artistes connus, la reproduction de mélodies, de paroles ou autres éléments originaux d'une chanson peuvent caractériser une atteinte aux droits d'auteur portant sur la chanson originale. Cette situation correspond au cas d'Angèle, dont la voix a été imitée afin d'interpréter un titre connu. Dans ce cas, la reprise des éléments du titre "Saiyan" sans autorisation serait certainement considérée par un tribunal comme une violation du droit d'auteur de la personne qui a composé et/ou interprété le titre original.

Cependant, dans le cas où l'IA génère des mélodies et paroles originales et imite la voix d'un chanteur célèbre, il n'y a, en théorie, aucune violation du droit d'auteur de l'artiste dont la voix a été imitée. 

L'hypothèse décrite ci-dessus correspond au cas de Drake et The Weeknd, dont les voix ont été imitées par une IA, puis utilisées afin d'interpréter une composition originale, également générée par une IA. Si les vidéos du duo généré par IA ont prestement été retirées des réseaux sociaux sous la pression de la maison de disques des deux superstars, devant un tribunal, la maison de disques n'aurait pu se fonder que sur la violation d'un droit de la personnalité des artistes et non sur une contrefaçon de leurs droits d'auteur. 

Cette différence de fondement entre la violation d'un droit d'auteur et une atteinte au droit de la personnalité d'un artiste est de taille, puisque dans le cas de Drake et The Weeknd, la maison de disques aurait notamment dû prouver que les voix utilisées étaient en tous points similaires à celles des deux artistes et qu'ils étaient reconnaissables.

Le paradoxe de l'apprentissage des IA génératives

Il est crucial de garder en tête que les IA génératives de musique doivent s'entraîner à partir de données existantes, souvent protégées par des droits d'auteur afin de générer de nouveaux contenus. 

En l'occurrence, dans le cas de Drake et The Weeknd, l'IA imitant leur voix avait préalablement dû s'entraîner sur des morceaux chantés par les deux artistes : c'est ici que peut se situer une violation de leurs droits d'auteur.

Toute reproduction et utilisation non autorisée d'une œuvre protégée par un droit d'auteur, notamment à des fins commerciales est susceptible de caractériser une contrefaçon passible de sanctions civiles et pénales. 

Alors que les avancées technologiques offrent des opportunités exaltantes, elles engendrent aussi des défis complexes pour les créateurs, les entreprises et les avocats spécialisés en propriété intellectuelle. Concernant la musique, appréhender les nuances entre le droit d'auteur, les droits de la personnalité et la protection des données personnelles s'avère fondamental pour naviguer dans ce paysage en mutation. 

[1] Une fausse chanson de Drake et The Weeknd générée par intelligence artificielle inquiète l'industrie musicale

[2] Comment une fausse reprise de "Saiyan" par Angèle est devenue virale