Le "prompt art" permet aux utilisateurs de sites web tels que Midjourney, DALL-E, NightCafé ou Snowpixel d’avoir accès à une intelligence artificielle ayant pour mission de générer des images sur les seules instructions écrites des internautes. Les résultats sont bluffants et ont permis à une image générée exclusivement par une intelligence artificielle de remporter le premier prix d’un concours d’art au États-Unis. C’est dans ce contexte que se posent plusieurs questions pratiques au sujet de l’interaction entre le droit d’auteur et les créations générées par une intelligence artificielle.
La journée du 26 août 2022 a marqué un tournant dans l’histoire de la création artistique, puisque pour la première fois une œuvre entièrement générée par une intelligence artificielle, en l’occurrence Midjourney, a remporté le premier prix de la Colorado State Fair Fine Arts Competition1. Cette victoire a fait polémique, au point de forcer les organisateurs du concours à revoir leurs critères de validation des œuvres pour l’année 20232.
Si cette victoire fait polémique, c’est qu’elle nous invite à trancher la question des droits qui seront accordés à l’intelligence artificielle à l’orée de la systématisation de son développement dans tous les secteurs.
À l’instar de Midjourney, les sites DALL-E, NightCafé et Snowpixel proposent d’illustrer les instructions écrites des internautes grâce à une intelligence artificielle et cela porte le nom de « prompt art ». En pratique, l’internaute écrit une phrase décrivant l’œuvre qu’il souhaite voir réaliser, par exemple « pays des merveilles postapocalyptique » et l’intelligence artificielle se charge de lui proposer plusieurs réalisations visuelles des instructions écrites.
L’essor de l’offre de la création d’arts visuels par des intelligences artificielles et la qualité du rendu a de grandes chances d’aboutir à une prise en main par des professionnels qui y verront l’opportunité de générer des visuels à usage commercial sans avoir à rémunérer un créateur humain.
Tout n’est pourtant pas si simple et si aujourd’hui les règles applicables aux créations générées par une intelligence artificielle demeurent floues, il faut être en mesure d’anticiper la mise en œuvre du cadre juridique qui se prépare. Voici pour l’heure quelques éléments de réponse aux questions pratiques que posent les créations générées par une intelligence artificielle.
La réponse dépend du degré d’intervention de l’intelligence artificielle dans le processus de création :
1) Dans le cas de la création assistée par ordinateur (CAO), c’est-à-dire les cas où la personne humaine n’est pas totalement exclue du processus créatif et utilise une machine comme moyen technique pour créer, la personne humaine est titulaire des droits d’auteur sur son œuvre. C’est ainsi qu’un artiste-interprète s’est vu reconnaître un droit d’auteur sur une œuvre musicale créée avec l’assistance d’un logiciel de composition3.
2) Dans le cas d’une création générée spontanément sans intervention directe d’une personne humaine, cette production ne peut pas être qualifiée « d’œuvre » au sens du droit d’auteur, car la qualité « d’auteur d’une œuvre » est réservée aux humains en droit français.
Les créations de Midjourney et sites de prompt art ne sont donc pas protégeables au titre du droit d’auteur en France. La question de l’attribution de droits d’auteur à une création entièrement générée par une intelligence artificielle trouve des réponses différentes selon les pays, notamment en Grande Bretagne qui est un des rares pays à offrir une protection par le droit d’auteur aux œuvres générées par ordinateur sans auteur humain4.
En l’absence de protection par le droit d’auteur, la réponse à cette question se trouve dans les Conditions générales d’utilisation ou « Terms of service » des sites qui mettent à disposition des internautes une intelligence artificielle créatrice. Midjourney octroie aux utilisateurs de la version gratuite une licence d’usage non-commercial des œuvres générées par l’intelligence artificielle tandis que les utilisateurs du service payant « corporate membership » sont autorisés à exploiter les œuvres dans le cadre de leur activité commerciale.
DALL-E quant à lui permet à tous les utilisateurs d’utiliser les œuvres à des fins commerciales. Il convient donc de se référer aux conditions générales d’utilisation de chaque site, tout en gardant à l’esprit qu’elles peuvent être modifiées à tout moment sans préavis par l’exploitant du site web et qu’elles s’inscrivent souvent dans une logique de droit étranger.
C’est la notion de contrefaçon qui permet de s’opposer à ce qu’une œuvre soit copiée ou reproduite, or la contrefaçon est intrinsèquement liée à l’existence d’un droit d’auteur.
Comme nous l’avons vu les créations générées spontanément par une intelligence artificielle ne peuvent pas bénéficier de la protection par le droit d’auteur en France. Pour cette raison il n’est pas possible de s’opposer à leur copie ou leur reproduction sur le fondement de la contrefaçon. En outre, les sites web tels que Midjourney, DALL-E, NightCafé et Snowpixel s’attribuent pour la plupart une licence non-exclusive sur toutes les œuvres générées par l’intelligence artificielle afin de pouvoir les afficher sur le fil d’actualité du site web et permettre aux internautes de les utiliser.
Afin de générer une image, l’intelligence artificielle puise son inspiration dans une banque d’images préexistantes qui peuvent être protégées par des droits d’auteur. Il est également possible de demander à l’intelligence artificielle de générer une œuvre « à la façon » d’un auteur connu dont les œuvres sont protégées par le droit d’auteur.
Dans ce cas, il convient de vérifier que l’œuvre incorporée dans l’image générée par l’intelligence artificielle est libre de droits afin de ne pas risquer de se rendre responsable d’actes de contrefaçon, notamment dans le cas d’une utilisation commerciale de l’image générée. Pour rappel, en France les droits d’auteur s’éteignent 70 ans après la mort de l’auteur à l’exception du droit moral qui survit tant qu’il existe des héritiers de l’auteur.
Une proposition de Règlement sur l’intelligence artificielle a été publié le 21 avril 2021 par la Commission européenne5 et une version finale du projet devrait être adoptée à l’horizon 2023. Si la proposition Règlement n’aborde pas directement la question du droit d’auteur, elle donne cependant au fournisseur d’un système d’intelligence artificielle une place centrale, notamment vis-à-vis de la responsabilité en cas de dommages créés par une intelligence artificielle.
Cette position est reprise par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), qui recommande dans son rapport publié le 27 janvier 20206 de désigner le concepteur de l’intelligence artificielle comme l’auteur des œuvres générées par elle.
À l’avenir, c’est donc les personnes physiques ou les entreprises qui développent les intelligences artificielles qui pourraient être amenées à être titulaires des droits d’auteur sur les œuvres générées automatiquement, affaire à suivre…
[1] https://www.lebigdata.fr/midjourney-concours-art
[3] https://www.doctrine.fr/d/CA/Paris/2006/SK507B6E9920F763919D87